Blues de la canne a sucre
By Michel Marchon
Cela apparaît nettement dans son personnage: Sugarcane est un homme qui ne dira jamais non à quelqu'un; sa bonne humeur l'en empêchera mais c'est surtout ce désir qu'i I a de ne pas paraître supérieur qui lui fera avoir cette attitude. Il est la disponibilité même et il se laissera entraîner par quiconque le lui demandera. Il le fera, mais sans pour cela se sentir concerné; s'il le fait c'est « comme ça », pas pari ntérêt ou par conviction mais parce qu'on lui a demandé. Là est toute l'explication du musicien des joies et des déceptions qu'il peut procurer: c'est le cas de son LP solo où Johnny et Shuggie Otis, qui n'ont pas encore sû corriger leurs défauts, n'avaient pas les épaules assez sol ides pour faire faire quelque chose de valable à Sugarcane.
Ce que sont arrivés à faire Zappa et Mayall, eux n'y sont pas parvenus parce qu'ils n'ont pas la classe et la maturité nécessaires.
Don Harris est je pense condamné, du moins dans l'immédiat, à jouer avec des gens importants qui ont quelque chose à dire et qui ont besoin pour le dire de musiciens comme lui (il prépare un album avec Harvey Mandel).
En cela il fait penser, à un degré supérieur encore, à Eric Clapton qui ne veut pas être leader d'un groupe, et, si parfois il essaie, le résultat n'est pas toujours convaincant. Modestie, manque de confiance en soi, manque de créativité? En fait ce genre d'homme, qui doit constituer une catégorie pathologique bien déterminée, est esclave des autres dans la mesure où il ne peut vraiment exprimer tout ce qu'il a à dire que dans un contexte qui le dépasse un peu, qui lui apporte quelque chose et qui lui permettra alors, et alors seulement, d'apporter à son tour tout ce qu'il est en mesure de donner. Pour toutes ces raisons d'ailleurs la conversation que j'ai pu avoir avec Don Harris fut assez difficile à faire évoluer tant il trouve tout très bien (very fine !) très amusant ou très sympathique. En fait cette conversation n'aura de valeur ou d'intérêt que dans la mesure où elle illustre parfaitement le personnage. Ce qu'elle perd en intérêt musical ou anecdotique, elle le gagne en intérêt humain.
C'est un homme simple, ouvert, souriant et riant à la moindre occasion, que rien ne semble affecter, qui « plane » véritablement que j'ai devant moi. Cheveux très, très courts, pantalon de daim, chemise cintrée, lunettes fumées cerclées d'or, il ressemblerait presque à un touriste américain venu passer ses vacances en Europe s'il n'avait orné sa coiffure d'un bandeau en daim assorti à son pantalon.
M.M. – L'année dernière vous étiez totalement inconnu, pensez-vous aujourd'hui que vous êtes un homme populaire?
D.H. – Eh bien si tout le monde était comme vous je penserais que je suis une vedette, mais comme ce n'est pas le cas, je pense que je commence à être connu mais je ne suis pas ce que l'on appelle quelqu'un de populaire.
M.M. – Eh bien puisque vous n'êtes pas populaire, je vais vous demander de me raconter ce que vous avez fait avant de travailler avec John Mayall.
D.H. – Tout jeune j'ai commencé à prendre des cours de violon, j'ai donc ainsi étudié la musique classique pendant près de dix ans. Je dispose d'une base classique, ce qui pour jouer du violon est indispensable. Mais malgré cette connaissance de la musique classique j'ai très vite été att,ré par le rock and roll et le rhythm and blues. Comme j'avais également étudié la guitare, je me suis mis avec mon ami Dewey à jouer du rock and roll, nous formions un duo appelé tout simplement « Don & Dewey »; j'ai également pendant cette période joué de la guitare basse. Vous voyez que j'ai touché un peu à tout. Puis j'ai fait une tournée en Europe avec Little Richard. Rentré à Los Angelès les orchestres de rock et de jazz ont commencé à me demander de venir jouer avec eux. Je le faisais avec beaucoup de plaisir car cela me permettait de jouer toutes sortes de musiques et cela m'a appris beaucoup de choses. C'est à cette époque que j'ai joué d'une façon régulière dans l'orchestre de Johnny Otis. Je voyais pas mal de gens, et c'est ainsi que j'ai rencontré Frank Zappa qui m'a demandé de jouer avec lui, ce que j'ai fait avec joie mais avec au départ tout de même une certaine crainte car je n'avais encore jamais véritablement abordé une telle musique. Je crois que je m'en suis bien sorti bien que je ne ressente pas cette musique d'une manière aussi complète et aussi totale que le blues. Quoi qu'il en soit cela a été pour moi une expérience formidable que je suis tout disposé à continuer. Et puis à Los Angelès, John Mayall est venu me demander de jouer avec lui et en compagnie de Mandel et Taylor; inutile de dire que j'ai tout de suite accepté.
M.M. – Comment s'est passée votre rencontre et l'enregistrement du disque?
D.H. – J'avais entendu dire yue Mayall était un bourreau pour ses musiciens lors des enregistrements, évidemment il sait d'une manière exacte ce qu'il veut faire et il nous demande de jouer en conséquence mais ce traitement est tout à fait supportable I John, Harvey, Larry et moi sommes très vite arrivés à nous comprendre et je crois que cela se sent à l'écoute du disque.
M.M. – Cela n'a rien d'étonnant avec de tels musiciens.
D.H. – Exactement, ce sont des musiciens formidables. Ils ont vraiment compris ce qu'est le blues.
M.M. – Et votre L.P. solo?
D.H. – Je ne sais pas quoi en dire, j'ai joué une musique qui me plaisait et que je ressentais. A moi, il me plaît bien.
M.M. – Je trouve que vous ne vous êtes pas totalement débarrassé des influences rhythm and blues.
D.H. – C'est peut-être vrai, mais je me demande dans quelle mesure ce n'est pas une bonne chose.
M.M. – Pourquoi?
D.H. – Parce qu'il existe dans le rhythm and blues une certaine fraîcheur, il y a quelque chose de sain ,de spontané que j'aime assez, que je ressens.
M.M. – Vous connaissez JeanLuc Ponty ?
D.H. – Oui bien sûr, c'est un très grand violoniste.
M.M. – Vous aimez ce qu'il fait?
D.H. – Je crois qu'il est avant tout un violoniste de jazz. Le fait qu'il ait joué la musique de Frank Zappa prouve qu'il ne veut pas se limiter à une seule forme musicale et c'est très important. Je pense néanmoins qu'il sera toujours marqué par son goût pour le jazz. J'ai entendu le disque qu'il a fait avec Zappa et je trouve cela très bien.
M.M. – Vous savez ce qu'il pense de vous?
D.H. – Non.
M.M. – Il pense que vous êtes le plus grand violoniste de pop music, mais que vous serez toujours un bluesman et un bluesman seulement.
D.H. – Je crois que dans une certaine mesure il a raison, on peut aimer plusieurs musiques, mais on ne peut en ressentir qu'une seule véritablement: pour moi c'est le blues, pour lui c'est le jazz.
M.M. – Saviez-vous que Ponty était sorti premier prix du conservatoire de musique classique?
D.H. – Non je ne savais pas, mais cela ne m'étonne pas. Pour jouer du violon il est indispensable d'avoir une culture classique derrière soi. La musique classique vous oblige à acquérir une maitrise totale de votre instrument, pour cela elle vous oblige à travailler énormément et ainsi à acquérir une rigueur dans la technique instrumentale qui est primordiale. Une fois que vous avez acquis tout cela votre personnalité et votre sensibilité peuvent intervenir et c'est seulement à ce moment que vous devenez un joueur de violon.
M.M. – Est-ce que vous improvisez beaucoup?
D.H. – Dans la mesure où pour pouvoir improviser vous êtes obligé d'avoir une certaine culture qui réapparaît dans votre jeu, ce qui n'est plus tout à fait une improvisation, alors oui j'improvise souvent ... mais je travaille beaucoup.
M.M. – Vous avez les cheveux très courts.
D.H. – Oui j'ai eu quelques ennuis avec la justice américaine. J'ai failli ne pas pouvoir obtenir de permis de travail pour faire la tournée européenne à cause de cela. Finalement cela c'est un peu arrangé et j'ai tout de même pu venir.
Propos recueillis par MICHEL MARCHON.