Frank Zappa "Joe's Garage, Act I"
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FRANK ZAPPA
JOE'S GARAGE, Act. I.
CBS 86101
D'album en album, l'œuvre de Zappa prend sensiblement corps. Comme les grandes cuvées, elle prend aussi du « corps », et un « bouquet » de plus en plus subtil. Rien d'étonnant à ce qu'il devienne presque fastidieux de trouver chaque nouvel album plus intéressant que le précédent. (Selon le principe, le dernier paru serait forcément le meilleur... ce qui n'est pas faux ici.)
Mais voilà, « Joe's Garage » est un disque à part, et les comparaisons deviennent inutiles, les superlatifs ineptes. Impossible de résister à ce déluge d'inventions: ce n'est plus un vulgaire coup de poing dans des estomacs fragiles, mais un coup de massue asséné aux plus blasés. De quoi faire vomir toutes les stupidités ingurgitées depuis des mois.
Restons calme. Plantons le décor, campons les personnages de ce disque dont la pochette est déjà un petit chef-d'œuvre (particuliérement l'intérieur), pochette qui rappelle celles, légendaires, de « Uncle Meat » et « One Size Fits All ». Un album conceptualisé de A jusqu'à Z. Un album Zappa sur toute la ligne. Qui réduit du coup « Sheik Yerbouti » à l'état de compilation désordonnée.
« Joe's Garage » est inclassable, comme tous les chefs-d'uvre, chaque note, il n'y en a pas ici une de trop, comme la tête d'une épingle dans le champ libre de la Grande Structure. Dans ce maquis sonore qu'il faut tailler à coups de serpe, le moindre son, la moindre allusion prend son importance, trouve son rôle exact dans la Continuité Conceptuelle. Chez Zappa, tout est intentionnel. Et d'ailleurs, est-il si nécessaire que cela de chercher les références, les clins d'eil qui fourmillent ici? On n'en finirait pas car « Joe's Garage » n'est plus un disque, c'est une encyclopédie musicale des vingt dernières années. Allusions brèves et citations, certes; de quoi faire passer des nuits blanches au plus néophyte des zappaphiles. Faut-il vraiment dire ce qu'est ce monument? Et que la pochette détaille si bien.
Hi, folks ! Voici « Joe's Garage », histoire stupide dont le personnage central est le Grand Scrutateur. Il y a aussi Joe, sa conscience invertébrée, et Larry le futur roadie. Mrs Borg, qui veut enfermer son fils dans les toilettes, Father O'Riley, drôle l'irlandais, et Mary, une vraie salope ... Et Warren Cucurullo, dans son propre rôle.
« Joe's Garage », c'est un peu la somme de tout ce qui traîne dans nos mémoires, du soundtrack au disco, du glitter-rock à la newwave, du surf ou country. Et toujours chez Zappa, ce background R &B, même quand il prend des accents « bon chic-bon genre ».
« The Central Scrutinizer » annonce le thème de l'album/'souffle dans ton harmonica et mâche ton chewing-gum, un riff de « Jumpin' Jack Flash » ne fait de mal à personne. « Joe's Garage », en voilà des surprises, entre deux vocaux des sixties. Tout y passe, guitare façon Duane Eddy, harmonica country, saxos gueulards et « Sgt. Pepper », un peu de Coasters parci, un peu de surf par-là. Milkshake ou soda? Mick Rageur, ou David Maudit? Satanées majestés ...
« Catholic Girls » est un hommage à Ruben Sano, vieux crooner de soixante - quatre ans né à l'époque des Beatles. Avant «Crew Slut », blues au long duquel Denny Walley brode de la dentelle sur sa guitare. Le genre de morceau à faire faire clap-clap dans ses menottes sans crier gare, s'il n'y avait Dale Bozzio et ses langueurs perverses, son amour du Cuir.
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