Frank Zappa "Hot Rats"
By Alain Dister
FRANK ZAPPA
"Hot Rats"
Rykodisc / Harmonia Mundi
Phil Manzanera, ci-devant guitariste de ce bon vieux Roxy Music, avait coutume de dire que le solo de "Willie The Pimp" était l'un des plus difficiles à jouer et qu'il devait généralement s'arrêter d'en démêler toutes les subtilités avant de tomber raide fatigué.
Il faut dire que pour son premier album solo, Zappa frappe très fort. En sachant d'abord s'entourer. Captain Beelheart, le frère ennemi en dadaïsme vient en pousser une de sa voix rocailleuse, en intro de ce phénoménal "Willie The Pimp". Difficile de trouver, dans toute l'histoire du rock, un dialogue aussi ébouriffant entre une guitare et un organe humain ...
Et puis il y a le choeur des violons : Frank Zappa et ses violons magiques. Non mais, attendez, c'est de jazz que l'on vous parle ici. Du bluesy-tzigane, du fiévreux : le vieux grigou Sugar Cane Harris face au jeune loup Jean-Luc Ponty, qui ne va pas tarder à piquer une grasse colère et s'en aller loin, le plus loin possible du maître. De jazz encore, lorsque le fidèle Ian Underwood brode ses trilles de saxo et de synthés sur les thèmes savants développés par Zappa.
Mais alors, qu'est-ce à dire ? Aurions-nous ici affaire au premier album de fusion? Aux prémisses d'un jazz-rock hérétique, apostat de tous les genres, touillés là dans un infernal chaudron, à des années-lumière de ce qu'il est convenable de produire durant l'été 1969 ? Sacrée belle leçon pour des légions de musiciens impatients de faire éclater leur binaire basique. Pour gagner quoi ? La respectabilité, ne plus être considéré comme un musico pop. Pouvoir s'évader dans le sériel, le ternaire, le dodécaphonique, faire joujou avec des gammes d'accords diminués, des quarts de ton, et des timbres. Ah, les timbres à la Zappa ... Une vraie collec'. Bon. Combien vont en tirer quelque chose qui tienne debout sans profondément emmerder le cher auditeur ? Le génie de Zappa ne se laisse pas apprivoiser aussi facilement, il faut d'abord faire ses classes, répéter sans se planter le chorus de "Peaches ln Regalia", les pseudo-impros des "Gumbo Variations" ...
Autant commencer par vingt ans de piano forcé. Après, on verra.
Alain Dister