Em ... les adultes
By Philippe Rault
Ce qui me fait prendre une position quelque peu différente sur la question « hippie », c'est avant tout l'inaptitude de la majorité d'entre eux à créer quelque chose de valable. C'est très beau de passer ses journées dans les rues de Haight-Ashburry ou dans le Golden Gate Park à flâner et s'envoyer en l'air à coup de marijuana, hasch ou d'acide mais où cela mène-t-il?
Je reproche à plus de 50% des hippies de ne pas savoir pour quelle raison ils sont là et de cacher leur ignorance derrière des mots, des expressions : «Love », «Peace », «Flower Power ». Le mouvement est envahi de plus en plus par des hippies d'occasion qui viennent se défouler le week-end ou les vacances durant. C'est remarquable surtout à Hollywood où j'ai discuté longuement avec de vrais « hippies », des gens qui pourtant, par leur mise, n'étaient pas particulièrement anti-conformistes.
«La masse des jeunes double à peu près tous les week-ends, entre Sunset et Fairfax (les deux voies particulièrement fréquentées par les Flower Children). Ils changent le vendredi soir de vêtements, passent un jean dégoûtant, se mettent un serre-tête dans les cheveux et des colliers autour du cou. En général, ils viennent des environs, des quartiers aisés de Hollywood, de Beverly Hills, de la vallée de San Fernando, leur attitude est beaucoup plus une prise de position négative (« cherchons à em ... les adultes ») plutôt qu'un véritable choix lucide et constructif. »
Et à San Francisco également, on m'a expliqué que tous les ennuis avec la police venaient principalement de la présence dans le quartier de Haight-Ashbury d'un bon nombre de « runaways » (de gosses en fugue) qui se réfugiaient dans ce haut lieu de la culture hippie pour échapper à leurs parents.
Beaucoup plus intéressants sont les Diggers, le mouvement chargé de l'approvisionnement gratuit et libre de nourriture, d'habitations et de vêtements pour leurs frères nécessiteux. Je dis de vêtements car, à San Francisco, il fait froid, il fait même très froid et il n'est pas question de coucher à la belle étoile car la nuit la température descend en dessous de 0° (même au mois d'août, époque où j'étais dans ce secteur). 0, combien de « hippies » venus de l'intérieur du pays ou de Los Angeles ont été surpris par un climat aussi rude et brumeux!
A noter aussi que les gens qui organisent les concerts dans les salles comme le Fillmore ou l'Avalon sont particulièrement actifs. Bill Graham et son équipe, au Fillmore Auditorium, les Family Dog Productions de l'autre côté à l'Avalon, sont les organisateurs compétents de shows quasi-quotidiens avec des programmes toujours plus intéressants les uns que les autres. Tous les grands noms de la bonne pop music, du blues, du R'n'B et des groupes West Coast. Dans la même semaine, je me souviens avoir vu les Cream, le Paul Butterfield Blues Band, Bo Diddley, Big Brother and the Holding Co et Bukka White. Et, à chaque fois, salle comble. Ce qui prouve que la musique populaire se porte allégrement aux États-Unis.
Mais, en dehors de ces quelques éléments vraiment dignes d'intérêts, le reste du mouvement doit être admis avec pas mal de restrictions. Le groupe le plus extraordinaire que j'ai rencontré aux États-Unis, les « Mothers of Invention » – qui en Europe sont jusqu'à présent assimilés aux Flower Power – rejette furieusement l'appellation psychedelic ou hippie. Frank Zappa, leur leader, au cours d'une conversation fort intéressante, m'a expliqué son point de vue sur la question. Dans un prochain numéro de Rock & Folk [1], vous en saurez plus long sur l'opinion de ce nouveau disciple d'Edgar Varèse à propos des Beautiful People. En attendant, sachez que les Mothers dénoncent l'usage de la drogue et ridiculisent avec beaucoup d'esprit et de virulence la nouvelle génération américaine. Une plage de leur nouveau 33 tours commence par ces paroles :
« Hé, hypocrite, qu'est-ce que vous faites avec cette fleur à
la main ? »
« Hé, hypocrite, qu'est-ce que vous faites avec ces perles
autour du cou?»
La bataille est ouverte.
PHILIPPE RAULT
1. "Au secours! Voila les Mamans!!!", published in Rock & Folk in November and December 1967.