Impro modale extrême
À la manière de Frank Zappa

By Christophe Rime

Guitarist & Bass, October/November 2010


Alors que son fils Dweezil dirige la tournée "Zappa Plays Zappa" en présentant exclusivement des morceaux composés par son père, Guitarist rend hommage à l'artiste en vous proposant une analyse d'un solo modal. Frank Zappa, guitariste et compositeur génial, s'est toujours fait accompagner par de grands musiciens (Steve Vai, Vinnie Colaiuta, Chester Thompson, Adrian Belew, Jean-Luc Ponty, George Duke...). Il nous a quittés en 1993 à l'âge de 52 ans.

HISTOIRE

Rarement un musicien a exploré et influencé autant de styles différents : musique expérimentale, rock, jazz, jazz fusion, reggae, ska, musique électronique, musique contemporaine, blues, funk, hard rock, rock progressif, pop et même la musique concrète (à voir : une vidéo sur YouTube où Frank Zappa joue du vélo avec un archet). Il est impossible de décrire précisément la carrière de Frank tant elle est riche. Il était de ces musiciens qui ne font aucune concession. Il n'a jamais cédé aux modes et s'est toujours battu avec les maisons de disques afin qu'elles respectent ses volontés artistiques et esthétiques. Ce musicien irrespectueux et cynique a toujours manié l'humour et la provocation avec énormément de talent. On l'a entendu dire un jour :  "Les chroniqueurs de rock sont des gens incapables d'écrire, interrogeant des gens incapables de parler, pour des gens incapables de lire". Ceci résume bien l'humour corrosif de l'artiste. Il pratiquait également l'autodérision et la parodie.

Sa musique était très riche et souvent complexe, basée sur des mesures composées ( 7/4, 9/4, etc.) utilisant des polyrythmiques. Elle a influencé des groupes comme Mister Bungle, Screaming Headless Torsos, Fishbone et des musiciens tels que Steve Vai ou Pierre Boulez.

LE SON DE FRANK ZAPPA

Le jeu de Frank est essentiellement modal, c'est-à-dire qu'il ne joue que les notes d'un mode donné, et uniquement celles-ci, au cours d'un solo. Cette approche del'improvisation provient de façon évidente du jazz modal dont le parrain est sans doute John Coltrane. Son phrasé modal rigoureux et particulier se retrouve souvent dans le jeu des guitaristes de hard rock d'aujourd'hui. Frank a utilisé de nombreuses guitares : une Switchmaster dans ses deux premiers disques, des Strat Fender (dont celle brûlée par Jimi Hendrix au Miami Pop Festival), des SG et plusieurs Hagstrom. Il faisait fréquemment modifier l'électronique de ses guitares. Frank jouait sur des tirants de cordes très faibles, souvent du 8 ou du 7 en Mi aigu. L'action de ses guitares était réglée très bas. Son rack imposant contenait plusieurs effets quel' on trouvait plutôt dans les studios : deux compresseurs stéréo Dbx 162, un harmonizer Eventide 99, un Mu-tron Bi-phase (phasing analogique).

Il utilisait aussi des effets spécifiquement guitare, comme un octaver, un Dynaflanger, ou des pédales wah-wah dont les filtres étaient modifiés. Son ampli préféré était un ampli de basse : l'Acoustic 270.

PRÉSENTATION DU MORCEAU

Cette grille en 12/8 composée en Ré mineur dorien est modale. Le son de la guitare est saturé. Je joue sur le micro grave de mon Ibanez, en ayant à peine ouvert le potentiomètre de tonalité. Frank Zappa met en avant les notes qui caractérisent le mode (ici dans notre solo, la neuvième et la sixte). Il ne respecte pas les barres de mesure en s'attachant avant tout à sa mélodie intérieure. Il joue des écarts importants (mesures 3, et 5) ainsi que de nombreux slides sur une même corde (mesures 9 et 10). Il utilise des plans en tapping (c'est le médiator qui "tap" la corde), comme ici sur les mesures 16, 17 et 18. Et après avoir passé quelques notes sur un mode pentatonique exotique (mesures 19 et 20), intervient un moulinet construit sur les tierces en Ré dorien (avant-dernière mesure).