Captain Beefheart et les relations télépathiques

By Alain Dister

Pop Music, May 11, 1972


Beetheart est un drôle de bonhomme. II vous parle pendant des heures de ce qui le préoccupe le plus: l'eau de pluie, le sein maternel, la gravité universelle ... Des sujets aussi profondément sérieux ne peuvent que nous émouvoir. Même s'ils ont l'apparence, parfois, d'être loin de la musique. D'ailleurs, pour lui, les choses, sont fiées, et faire une musique qui plaise aux gene, les rende heureux, est déjà une sorte de contribution à la lutte contre la pollution (celle des faces grises).

Il a essayé de nous expliquer tout cela, après son concert; organise par Pop 2 au Bataclan.[1] Concert homérique où foisonnaient les morceaux très courts; exposant – ses idées et celle de ses musiciens. Pour le public français; ce fut un révélation: découverte du Captain; bien sur; drapé dans une cape noire, oui nous ramenait au bon vieux temps de Screamin' Jay Hawkins, mais aussi de ses acolytes, extraordinaires jongleurs, bondissant au son de leur musique joyeuse, heureux de faire partager leur bonheur. Ils sont assez nombreux (6, plus le Captain), mais n'en tiennent pas moins à tour de role des parties en solistes, chacun dans un style bien pareticulier; qui tend d'ailleurs à rester proche des conceptions beefheartiennes de la mélodie.

Il faut quand même citer Winged Eel Fingerling, qui donne au groupe une dimension nouvelle, nettement influencée par les régions nord de la Californie, blues plus introverti, qui se lance volontiers dans de longues improvisations, à la manière des solistes du San Francisco sound. Il [ ... unreadable ... ] tout se soit arrangé, et que, grace à lui, l'ensemble peut explorer de noveaux domaines. L'autre guitariste, et son compère bassiste – Zoot Horn Rollo et Rockette Morten sont depuis longtemps dans le sillage de Capitaine, et elur musique s'en ressent évidemment – dans le meilleur cens de terme, on a pu l'apprécier lorsqu'ils se sont livrés à d'éblouissantes compositions en duo, sautant d'un bout à l'autre de la scène, mimant des affrontements comme deux chats en colère, sous l'ceil amusé des membres de la section rythmique qui les soutenait. Ces excellents musiciens donnent au spectacle « Beefheart » un de ses côtés les plus fous, les plus pittoresques, tandis que, sur le devant de la scène, le Capitaine rugit et montre du doigt d'invisibles adversaires au nombre desquels doit bien se trouver Frank Zappa. D'ailleurs, deux musiciens des Mothers font maintenant partie du Magic Band - Roy Estrada, Mother de la première heure, à la basse ; et Art Tripp, alias Ed Marimba, aux drums. Après le concert, nous sommes – allés retrouver tout ce beau monde, afin de leur arracher quelques secrets à votre intention.

SuperHebdo. – Vous allez jouer davantage dans le style de « Spotlight Kid », ou revenir à des choses plus folles, dans le genre « Trout Mask Replica » ?

Beefheart. – Je ne sais pas. Parfois, je sens que je veux jouer de l'harmonica, parfois du saxophone ... Je ne m'occupe pas de savoir si ce que je fais est commercial ou n'est pas commercial. Cela troublerait mon esprit. Les relations entre les membres du groupe sont plus télépathiques, maintenant. Ils pourront jouer sans que quelqu'un leur dise quoi que ce soit. C'est comme ça que je travaille.

SH. – Vous n'essayez pas de présenter une sorte d'histoire du Captain Beefheart ?

CB. – Oh ! non. Beaucoup de gens font cela. Mais c'est une façon d'être exploité. C'est idiot, n'est-ce pas ?

SH. – A partir de quand vous êtes-vous intéressé à l'écologie?

CB. - La première fois que j'ai bu du Coca-cola.

SH. – Cela a quelque chose à voir avec un courant, aux EtatsUnis ?

CB. – Vous voulez dire une mode? Oh ! non. J'aime le ciel ...

(Long passage expliquant pourquoi le lait maternel est dangereux de nos jours, parce que produit d'un corps soumis à la pollution environnante et que ... ).

SH. – Vous avez des contacts avec les gens de chez Zappa ?

CB. – Horrifiants. Je ne les connais pas, ils ne veulent pas que je sois connu.

SH. – Roy Estrada était avec les Mothers of Invention, avant ...

CB. – Non, non. C'est Roy qui commença les Mothers et Zappa le rejoignit. Ce n'est pas Zappa qui commença et Roy qui le rejoignit. Roy a commencé, et Zappa est venu ensuite. Tout cela, c'est de la publicité de Zappa.

SH. – Vous n'avez jamais rien appris de classique, vous n'avez pas de bases musicales ?

CB. – Non. Chaque fols que vous posez le pied par terre, vous êtes un drummer. La gravité fait de vous un drummer.

SH. – Et le rythme?

CB.– Il n'y a pas de rythme spécial tout le monde a du rythme. Qui suis-je donc pour décider ce qui est le rythme et ce qui n'est pas le rythme ...

SH. – Vous avez bien commencé quelque part, par un rythme particulier, une sorte de blues ...

CB. – Non, non, non. J'ai tro de respect pour ceux qui ont déjà écrit le blues, je les respecte trop pour leur voler leur musique. Ils ont leur musique. J'ai ma musique. C'est la même, mais jouée différemment. Je chante une chanson de John Lee Hooker, et je l'annonce comme une chanson de John Lee Hooker. Mais je la chante à ma façon. C'est comme cela qu'il y a une révolution : ce n'est jamais la même chose. Certains pensent que la révolution, c'est arrêter le monde pour le rendre différent. Il l'est, de toutes façons. Le problème, en fait, est que les gens arrêtent de polluer.

SH. – Cela fait partie de votre traumatisme de Los Angeles.

CB. – Mais ici aussi, c'est la même chose. Dans toutes les petites villes, dans le monde entier.

SH. – Quel serait donc le rôle de la musique ?

CB. – Recevoir, donner de bonnes impressions.

SH. – C'est ce que représente votre musique ?

CB. – Oui, c'est vrai, pas de bagarres.

SH. – Se sentir joyeux, bien ...

CB. – C'est cela même.


1. Captain Beefheart & His Magic Band concert at Le Bataclan, Paris, France on April 15, 1972.